Un voyageur perdu, s’égara sur un petit chemin, un sentier obscur dans cette nuit tombante. Au bout de ce chemin, une lumière dansait, celle d’une demeure perdue au milieu des bois, une lueur qui attira notre voyageur.
Quand il frappa à la porte, celle-ci s’ouvrit naturellement, cela le surpris mais il entra tout de même. Il s’attendait à une porte fermée, une porte qui s’ouvrirait, une porte que quelqu’un allait lui ouvrir, mais non. Il était là , face à lui-même.
Dans la petite pièce, il déposa sa valise, se rapprocha du feu, se vit dans le miroir posé sur la cheminée mais ne se reconnu pas, ce n’était pas l’image qu’il avait de lui. C’est effrayant de ne pas se reconnaitre. Il avait envie de fuir mais quelque chose le retenait, le captivait, une musique douce qui l’apaisait. Il se posa, s’allongea et se prit à rêver. Des mots, des phrases, des pensées virevoltaient au dessus de lui. Des images changeaient d’apparence, le vertige le prenait mais il se sentait bien, il flottait. Depuis la hauteur qu’il prenait, il voyait sa valise, là, posée sur le sol, lourde, épaisse, chargée du poids de son histoire, sa vie. Tout tenait là , dans cette grosse valise élimée, tout était là , conservé précieusement, tous ces souvenirs qui l’avaient construit mais qui l’empêchaient d’avancer, qui le freinaient comme une charge émotionnelle étouffante, épuisante.
Quand il se réveilla au petit matin, il ne vit pas sa valise mais juste un petit cadeau, posé là , à même le sol. Il s’étonna de sa réaction amusée, nulle tristesse dans l’absence de cette valise qu’il avait trainée toute sa vie. Ce petit cadeau le faisait rêver, un cadeau, il n’en avait pas l’habitude, il avait perdu l’habitude.
Ce petit cadeau, il ne l’attendait pas. Il aurait pu l’ouvrir avec frénésie mais il préféra le conserver intact, dans son papier de fête, son habit de lumière, chargé d’espérance. Il glissa ce tout petit cadeau au fond du sac pour pouvoir l’ouvrir quand le moment sera venu. Savourer l’attente de la découverte, ne pas être déçu en ouvrant un cadeau trop tôt, prendre le temps pour en ressentir toutes les vibrations qui ondulent et le portent sur la vague de sa mémoire, de ses souvenirs, les bons et les moins bons, ceux qui nous l’ont construits et ceux qui l’ont perturbés.
Ce temps est nécessaire pour percevoir la force qui se cache dans ce petit paquet, son paquet, celui qu’il vient de recevoir, celui qu’il avait avec lui, sur lui, en lui mais qu’il n’avait pas vu, pas perçu, pas ressenti en tant que tel. Ce petit paquet, il le prenait pour un fardeau, une valise chargée qui freinait chacun de ses pas, un poids lourd sur la poitrine qui bloquait sa respiration à la vie, sa capacité à recevoir, à donner, à ressentir, à vibrer, à être.
Il a essayé d’absorber l’énergie qui rayonne de la valise, de la voir, de la ressentir mais cette valise, qu’il porte à bout de bras, pèse de tout son poids, les épaules tombent, le dos se raidi pour soutenir l’édifice, la poitrine se referme sous la force qui l’attire vers le bas, vers hier. Posture inconfortable.
Nous avons tous une valise à porter, à transporter et là , une question se pose.
Si je pose cette valise sur le quai, que se passe t’il et alors là , alors là , et oui, c’est l’évidence, nous nous sentons légers, le dos redressé, la poitrine ouverte et nous respirons, nous expulsons, nous faisons circuler une énergie comme jamais auparavant.
C’est tellement simple que tout change autour de nous, tout bouge, circule, les sons, les mouvements, les sensations et dans cette ronde envoûtante, tout se transforme, tout reprend corps et cette valise lourde, posée au sol s’irradie d’une lumière éblouissante, elle vibre et fait vibrer, tremble et fait trembler, elle chauffe et procure une chaleur intense. Petit à petit le regard change, la vue s’adapte, la mise au point se fait au milieu de ce halo, de ce voile lumineux et cette lourde valise de désagrège, se liquéfie pour laisser apparaître ce tout petit cadeau, cette nouvelle façon de voir les choses, de voir la vie. Ce tout petit cadeau, nous le portions à bout de bras, chargé d’un poids non fait pour lui, non fait pour nous, non fait pour vous.
Comme pour se voyageur égaré, il est temps de remonter dans le train, la valise posée sur le quai n’est plus, nous reste ce tout petit cadeau que nous rangeons au plus prêt de notre coeur, et confortablement installé, nous attendons le départ. Quand le train commence sa route, nous savourons le paysage qui nous semble différent, baigné d’une lumière inhabituel et pourtant c’est bien le même mais notre perception a changé, elle ne peut être comme avant, comme quand le paysage se dissimulait derrière cette foutue valise encombrante que nous gardions sur nos genoux. On n’allait quand même pas la mélanger avec les valises des autres, au bout du wagon, non, non, cette valise là était bien à nous, il fallait la surveiller, de peur de se la faire voler. Maintenant qu’elle n’est plus, le paysage devient lui, le petit cadeau, posé sur la tablette nous fait des sourires, essaie de nous séduire, veut s’ouvrir mais patience, savourons cette instant et bientôt, très bientôt, nous serons prêts.
Ces valises sont les œillères qui nous limitent.
©2010 – Michel Schauving