Comme le cerveau, qui a conservé dans sa construction, les trois strates majeures de l’évolution de notre espèce, le registre des émotions a également subi cette même adaptation à trois niveaux.
La préoccupation principale d’une espèce est de vivre et survivre, c’est-à-dire maintenir son intégrité physique pour se reproduire et assurer une préservation de l’espèce.
Vivre, c’est se donner la capacité de maintenir notre corps dans un état compatible avec notre fonction de reproduction.
Survivre, c’est vivre au delà de soi, c’est assurer un renouvellement de l’espèce par la procréation.
En faisant un parallèle entre l’évolution des espèces et la formation d’un individu, physique et psychologique, je vous propose une analyse de ce qui anime nos actes, génère nos émotions et construit nos pensées.
© Muséum d’Histoire Naturelle – Christian Jégou
Au stade primaire, il s’agit de se reproduire à la période la plus propice pour cela, c’est-à-dire lorsque les conditions de l’environnement sont les plus favorables à la survie de la progéniture. Cela se traduit par la recherche du climat adapté, de l’abondance de nourriture, de l’éloignement des prédateurs mais aussi par des stratagèmes mis en place pour cacher, camoufler les œufs en incubation. Ces conditions sont plus propices dans certains lieux ou à certaines époques de l’année d’où les phases de reproduction qui se concentrent sur une période rapprochée, dans des lieux précis et reconduits d’année en année en fonctions des espèces.
Nous remarquons souvent le dépôt et l’abandon des œufs dans leurs environnements, sécurisés au mieux, et le détachement des géniteurs qui repartent en quête de subsistances pour continuer à vivre. Il n’y a pas d’attachement à la descendance mais uniquement le devoir accompli sans aucune décision consciente. Il ne s’agit pas encore d’émotion, mais d’instinct. C’est ainsi que cela doit se faire maintenant car demain n’existe pas…
A la seconde strate, celle de l’appartenance au groupe, de la relation à l’autre, la sphère émotionnelle s’est invitée en intégrant la notion de besoin dans l’échange sexuel instinctif. Il s’agit de se reproduire mais aussi que les nouveaux nés soient bien portants, puissent se développer, grandir et prendre la relève. Par des signaux chimiques, sonores et visuels, nous assistons à la recherche du partenaire le mieux disposé pour assurer une descendance capable de résister aux risques de l’environnement. Ces signaux instinctifs donnent naissances aux émotions qui deviennent le langage et l’interprète du corps.
©2013 Michel Schauving
Les périodes de reproduction deviennent plus longue et plus fréquentes et la progéniture est de plus en plus suivie et protégée jusqu’à la naissance. L’œuf passe de l’incubation à la gestation, il ne grandit plus hors mais dans le corps de la mère. S’en suit une période de sevrage qui va augmenter au fil du renouvellement des espèces. L’âge de l’autonomie ne cesse d’augmenter provoquant une responsabilité parentale plus longue pour subvenir aux besoins et à la survie de la progéniture. La fonction de reproduction s’habille d’émotions pour favoriser le meilleur géniteur pour espérer obtenir la meilleure descendance et pouvoir ensuite en assurer la survie.
Chez les mammifères, les relations au sein du groupe vont alors évoluer vers une compétition, une rivalité et des affrontements pour être choisi ou choisir son ou sa partenaire.
Ces rivalités pour la survie de l’espèce vont donner naissance à un flot d’émotions relationnelles qui vont s’amplifier et se fondre avec les émotions sensorielles primaires. Par ces émotions, l’acte reproductif devient sexualité. Le système de récompense s’installe, la recherche du plaisir et la démonstration de force comme indicateur du plus méritant à procréer.
Demain n’existe toujours pas mais la notion de temps devient perceptible dans les rituels qui s’installent. Les comportements s’adaptent à chaque situation, au jour le jour afin d’être prêt à affronter ce qui peut arriver.
Dans la troisième strate, nous assistons à une conceptualisation des émotions, du plaisir et des relations sociales. Les croyances qui se développent sont directement issues du positionnement de l’individu au sein du groupe et des moyens qu’il a mis en œuvre pour définir son rôle, sa fonction et son importance vis à vis des autres. L’anticipation et le souvenir s’intègre dans les décisions, et ce faisant, perturbent les émotions primaires en insufflant des émotions attachées à un autre moment que l’instant présent.
Les émotions liées à ces pensées donnent naissances aux jeux psychologiques et vont se fondre aux émotions issues des deux strates précédentes. L’image prend alors l’ascendant sur le fond pour rivaliser avec l’autre. Les frustrations, les souvenirs, les craintes, les attentes, les désirs et les besoins vont influencer notre relation dans des jeux de pouvoirs, de séductions, de dépendances afin d’obtenir les faveurs de l’autre et alimenter sa fonction primaire de vie et de survie.
Quand ces jeux de pouvoirs prennent le dessus sur la fonction initiale qui était la survie de l’espèce, nous entrons dans des schémas complexifiés de nos comportements et avec lesquels nous pouvons nous sentir décalés et mal à l’aise. Des émotions contradictoires se percutent et troublent notre conscience. Les émotions qui s’animent dans ces trois composantes ne sont ni positives, ni négatives par elles-mêmes mais par l’interprétation que nos pensées en font. Les émotions sont des réponses de notre corps à la situation qui se produit dans l’instant.
Aujourd’hui, l’être humain a dépassé ce besoin primaire de survie de l’espèce par la reproduction mais cette compulsion s’active encore et les émotions primitives sont toujours présentes au fond de nous et se confondent avec nos émotions cognitives, relationnelles et sensorielles.
Ces diverses émotions communiquent entre elles, s’affrontent, se contredisent ou s’amplifient et marquent leurs empreintes dans notre corps, dans nos pensées, dans nos croyances et dans notre relation à l’autre.
Dès lors, faire la part des choses dans nos comportements devient compliqué si nous le faisons sans tenir compte de ces trois composantes successives et distinctes de notre personnalité. Ces trois composantes existent en chacun de nous bien que développées à des niveaux différents.
Accorder nos émotions sur ces trois registres, c’est les percevoir, les voir et les gérer non pas par le contrôle, ou par le refoulement inconscient mais par le choix libre et entier de les exprimer ou non. Il ne s’agit plus de gaspiller notre énergie à les combattre, mais de les laisser suivre leurs chemins vers notre conscience pour les évaporer ou les savourer.
par Yohan Castel (wikimedia)
Les émotions qui régissent nos comportements ou nos comportements qui provoquent nos émotions sont les deux faces d’un même principe, celui de notre relation à l’autre. Ces échanges relationnels s’appuient donc sur l’énergie de vie et de survie qui nous met en action. La survie de l’espèce comme premier vecteur de celle-ci, a fait émerger tout ce bagage émotionnel dans nos modes de communication, allant bien au delà de cette compulsion première. Par la suite, ces échanges relationnels ont donné naissance aux us et coutûmes du groupe qui forgent le lot de nos croyances sur ce qui est ou n’est pas, sur ce qui peut se faire ou ne peut pas, sur ce que je mérite ou ne mérite pas. Ces us et coutûmes forment le générateur d’émotions cognitives qui est chargé de surveiller nos émotions relationnelles en les cataloguant comme recevables ou non, comme positives ou négatives selon des critères qui ne dépendent pas de la réalité mais de l’image que nous en avons, selon des schémas hérités de notre éducation.
Comme les nuages, les émotions nous montrent ce que nous voulons y voir